New York, NY
By: MLAA
Cet article est le premier d’une série.
Elles ont trouvé ces opportunités sur des groupes Facebook et des sites internet comme CrewBay.com et FindACrew.net. Elles cherchaient toutes la même chose: une aventure inoubliable en tant que membre bénévole d’équipage sur un voilier, navigant d’île en île ou traversant les océans, hissant les voiles, pêchant, et vivant leur rêve.
Les conditions diffèrent suivant l’embarcation, mais en général la couchette n’est pas payante. On attend en revanche de l’équipage qu’elle aide le capitaine à naviguer, s’occupe de l’entretien du bateau, et partage les frais de nourriture, en échange d’une couchette sur un voilier pour parcourir le monde.
Mais pour des dizaines de jeunes femmes du monde entier qui ont été recrutées par ces capitaines sur ces sites internet, leurs rêves d’aventures ont viré au cauchemar quand elles se sont retrouvées piégées en pleine mer avec des capitaines prédateurs sexuels, dont les objectifs criminels semblent prémédités.
Certaines des femmes avec qui MLAA a parlé ont été agressées à bord des voiliers. Certaines ont été violées à plusieurs reprises. D’autres se sont retrouvés piégées à bord, vivant l’enfer avec un homme dont elles ont découvert plus tard qu’il avait déjà condamné pour viol : un prédateur sexuel en série.
Après avoir été attirée à l’autre bout du monde par un capitaine rencontré sur Crewbay.com, Ella Zahav a été agressée sexuellement par le capitaine lors de sa première nuit à bord. Après avoir quitté le bateau, elle a décidé de créer un groupe Facebook pour mettre en garde les autres femmes et jeunes filles (certaines n’ont pas 20 ans) contre les dangers potentiels auxquels elles pourraient être confrontées en cherchant des voiliers pour faire ce type bénévolat.
Le groupe Facebook d’Ella Zahav compte maintenant des centaines de membres et a recueilli des dizaines de témoignages d’abus sexuels de femmes qui ont été harcelées, agressées et abusées sexuellement par des capitaines après avoir été attirées à bord de voiliers en tant que membres d’équipage. Bien que tous les témoignages recueillis jusqu’à présent par son groupe proviennent de femmes, il est probable que les jeunes hommes soient également confrontés au même danger.
Ella Zahav et les auteurs de certains de ces témoignages recueillis ont accepté d’autoriser la MLAA à publier leurs témoignages afin de contribuer à faire prendre conscience des dangers auxquels sont confrontées les femmes et les hommes qui cherchent à devenir membres d’équipage bénévoles à bord de voiliers de croisière. Dans ce premier article de la série, nous publions 5 témoignages parmi les dizaines recueillis par le groupe de Zahav.
À l’avenir, nous en publierons davantage, et nous publierons également des histoires sur le rôle joué par les plateformes en ligne pour faciliter ces abus sexuels maritimes.
1) Ne naviguez jamais seule avec le capitaine. Je l’’ai appris à mes dépens.
« A », 21 ans: Je suis une jeune femme de 21 ans, très joviale et parfois un peu naïve. Mais j’avais pris les précautions nécessaires avant d’embarquer sur un voilier connaissant les risques. J’ai donc trouvé via le groupe Facebook « Entraide équipiers voiles de Polynésie” un capitaine qui avait presque 70 ans, et allait naviguer vers les îles sous le vent durant 3 semaines.
Ce dernier m’avait été « validé » par deux de mes proches, ainsi que par une équipière ayant navigué quelques mois plus tôt avec lui et qui d’ailleurs embarquait avec nous pour une semaine.
Cette première semaine a été extraordinaire. Nous nous entendions tous les trois très bien. C’est une fois l’équipière partie que les choses ont commencé à se compliquer. Il est toujours resté gentil, n’a jamais été agressif verbalement mais au contraire, il a été trop gentil. Trop de compliments, de sous-entendus sur ma « perfection » qui l’aurait fait tomber amoureux s’il avait été plus jeune, selon ses dires. Il s’est aussi mis à me parler de ses conquêtes et aventures sexuelles. Jusque-là rien de bien méchant, bien que cela a été plus que malaisant pour moi.
Un matin, cependant, il est arrivé avec un sextoy, un cadeau apparemment pour moi. Très bizarre. Il a justifié ce geste par « j’en offre à toutes mes amies ».
Mais bon, malgré tout, je me suis dit « dans quelques jours une autre équipière arrive, donc ça va aller ».
En effet, elle est restée 5 jours avec nous et tout est revenu à la normale. Elle a ensuite quitté le bateau un matin, et à partir du moment où nous avons à nouveau été seuls, il a recommencé.
Durant l’après-midi, il m’a dit texto, alors que nous étions sur l’annexe : « Je t’aime, j’ai envie de toi, j’ai envie de te caresser, de te faire du bien, de te faire plaisir, laisse-moi au moins te faire un massage, ou alors te réoffrir un jouet, savoir que tu prends du plaisir m’en donne aussi. Ne t’inquiète pas, ton copain ne le saura pas. S’il te plaît arrête de cacher tes fesses la journée reste en maillot, j’aime ton cul ». Il a ensuite durant le retour au bateau caressé mes fesses alors que je conduisais l’annexe.
Je vous épargne la fin du séjour, je suis restée enfermée dans ma cabine (tout en restant en lien avec d’autres filles équipières du groupe Facebook d’Ella Zahav) tellement j’étais choquée et effrayée.
J’ai réussi à lui demander de me faire débarquer au plus vite, car même après une discussion posée, et des excuses de sa part, j’avais la boule au ventre, le cœur serré, et l’envie de pleurer en sa présence. Ce qui est arrivé aurait pu être bien pire. Et ce dont je souhaite vous faire part aujourd’hui, c’est de ne JAMAIS penser que vous êtes en sécurité à bord d’un bateau.
Même si le capitaine est recommandé, ne naviguez pas seules, je vous en prie. On me l’avait moi-même conseillé, j’ai à moitié écouté, et j’espère que ce témoignage vous convaincra de ne pas faire cette erreur. Et surtout, si cela vous arrive, j’ai moi-même du mal à l’intégrer, mais n’oubliez pas que ce n’est PAS de votre faute.
Merci de m’avoir lue et merci à ce groupe d’exister.
2) Partir seule fut une grosse erreur.
« V », 35 ans: J’ai eu une expérience en juin 2020 avec un capitaine français, L, skipper de métropole qui passait un an aux Antilles et rentrait en transat vers le sud de la France. Je suis partie seule avec lui et ça s’est très mal passé.
Je l’ai trouvé via une un groupe Facebook de recherche d’équipiers. Il a une personnalité extrêmement problématique qui entraîne clairement une dangerosité.
J’avais fait de la voile, j’avais des notions, je voulais apprendre et partager une expérience. Il cherchait un équipier/ère pour faire une transatlantique avec son bateau.
Il me donnait des cours de navigation mais de façon très extrémiste dans sa manière d’exprimer les choses. En outre, tous les jours, j’avais un peu moins de liberté concernant la vie sur le bateau. Il réagissait tout le temps de façon très autoritaire, rigide, maniaque, à la limite de la paranoïa. Je me faisais constamment engueuler car je ne rangeais pas une cuillère au bon endroit, ou concernant la lunette des toilettes, des choses comme ça.
Au bout d’un moment je pouvais plus écouter de la musique, ni charger mon ordi. Il m’engueulait tous les jours à la même heure. Du coup, j’en suis venue à un stade où j’en pouvais plus, j’ai passé quatre jours à ne plus parler, j’ai arrêté de manger. Heureusement j’avais l’Iridium pour le contact avec ma famille. Il jetait des trucs à terre, s’engueulait lui-même, m’engueulait. Donc j’ai dû au bout d’un moment lui gueuler dessus aussi et sortir de ma zone de confort.
Je l’ai vu à poil alors qu’on s’était mis d’accord là-dessus très clairement avant d’embarquer. Du coup j’ai commencé à me balader avec tout le temps un couteau dans ma poche. J’ai réalisé qu’on était au milieu de l’océan et qu’à n’importe quel moment il pouvait me plaquer à terre et me violer.
Heureusement je n’ai pas subi d’attouchements, ni de viol, mais j’ai dû subir cette violence, renoncer à mon caractère, renoncer à avoir un avis, renoncer au partage, à parler, à manger aussi, esquivant les moments d’engueulade, en repoussant ses jugements abusifs et en essayant de rire de ses réactions de despote.
J’ai songé à porter plaine, mais seule, pour l’instant, je n’en ai pas eu la force.
C’est très important d’avoir une « Code de conduite capitaine/équipage » pour nous les filles, car ça arrive trop vite.
Partir seule avec lui a été une grosse erreur.
3) J’ai passé 3 semaines à bord d’un catamaran et je ne me suis jamais sentie en sécurité.
« T », 24 ans: J’ai passé plusieurs semaines en Polynésie française sur le catamaran de P., et je ne me suis jamais sentie en sécurité. Je l’avais trouvé via un groupe Facebook de voile local, « Equipiers et Entraide voiles de Polynésie » qui met en contact capitaines de voiliers et les membres d’équipage volontaires.
Différents faits qui expliquent mon mal-être et qui sont tous liés au comportement du capitaine:
Premièrement, je n’avais pas été en mesure de le rencontrer avant d’embarquer, car il souhaitait un départ très rapide. Nous avions donc uniquement parlé au téléphone. Là, il m’a menti sur son âge, il m’avait dit “le double du mien” (soit 48 ans) et en fait il en avait 65.
Son comportement m’a laissée en pleurs et en panique. J’ai dû le supplier de me laisser descendre du bateau plus tôt que prévu.
Il parlait souvent de sexe, et m’a clairement fait comprendre qu’il avait beaucoup d’expérience en la matière et que c’était dommage que je n’en profite pas. Il m’avait dit qu’il se mettait parfois nu « pour nager seulement », et finalement c’était très souvent sur le bateau aussi.
il m’a embrassée dans le cou (en étant derrière moi, je ne l’avais pas vu s’approcher), je lui ai dit de ne jamais refaire ça sa seule réponse était « t’es bien la seule fille qui n’aime pas les bisous ».
Il voulait me rassurer sur le fait qu’il ne comptait pas m’agresser en me disant: « viens faire la sieste à côté de moi nue tu vas voir, je te ferai rien… Enfin sauf si tu me sautes dessus ».
Je lui ai dit que j’étais mal à l’aise et que donc je voulais qu’on termine le voyage plus tôt que prévu, il m’a dit « non » parce que ce n’est pas ce qui était prévu à la base et que ça ne se passe pas comme ça sur un bateau. (Malgré le fait que j’étais en pleurs et en panique à ce moment-là).
Donc une situation très angoissante. Je n’ai pas porté plainte car je voulais surtout laisser ça derrière moi, mais s’il y a des personnes qui ont eu des expériences similaires avec lui alors je serai prête à le faire. »
4) Je suis la victime d’un capitaine de voilier pervers narcissique.
« E », 22 ans: Victime d’un capitaine prédateur sexuel et pervers narcissique : J’ai récemment passé plus d’un mois à Tahiti avec un homme âgé d’une 60ne d’années. Il recrute les filles via le site WorkAway, qui l’a heureusement enlevé du site après que je l’ai dénoncé, et a alerté d’autres personnes qui pensaient venir sur son bateau.
Il a un trimaran. Il se dit séducteur et joue de son charme. Il est nudiste et parle de sexualité très aisément. Il vit à poil sur son bateau, avec uniquement un petit paréo.
Il sait te mettre en valeur et te complimente chaque jour (profil type d’un pervers narcissique), ça parle aux filles, ça fait rêver. Très bavard, ne laissant aucune place à la parole de l’autre, sûr de lui, très imbu de sa personne. Mais, tu ne sais pas pourquoi, tu t’attaches et tu apprécies sa compagnie.
Technique d’approche : Un soir sur son bateau, voilà qu’il sort son numéro, il sert le dîner ainsi que l’apéro. (Alors qu’en temps normal il ne bouge pas l’ombre d’un petit doigt). Après plusieurs verres, bien amoché, il me propose un massage, que j’ai bêtement accepté.
Résultat je m’endors sur ma chaise. Question qui me reste à l’esprit : « aurait-il mis quelque chose dans mon verre ? »
Un peu dans les vapes, je décide d’aller me coucher, sur le trampoline. Il m’accompagne et reste avec moi. Je sombre aussi sec dans les bras de Morphée (encore une fois, je ne peux pas exclure que quelque chose ait été mis dans mon verre), je me réveille en pleine nuit et je sens une main me caresser les parties intimes. J’ai changé de position et fais mine de n’avoir rien vu.
Bêtement, on accepte et on se dit que ce n’est pas grave.
Il y aura deux autres tentatives par la suite. Vous vous dites, « mais pourquoi n’est-elle pas partie ? ».
Car les filles, quand vous êtes face à ce genre de personne vous n’avez même plus le temps ni l’énergie de penser par vous-même. Il fait tout pour que vous dépendiez de lui et je ne réalisais même pas que j’étais sous son emprise et victime de cet personne.
Il n’y a pas eu de viol ni d’agression autre que ces attouchements, car on vivait en général dans sa maison avec sa famille, il été très occupé et n’avait peu de temps à accorder mais : maintenant qu’il vit sur son bateau, c’est un homme dangereux. C’est pourquoi je prends moi-même le risque de le dénoncer sur le groupe d’Ella Zahav par prévention et pour m’assurer qu’il ne fasse par pire par la suite…
Maintenant que je ne suis plus avec lui et que j’ai pris le recul nécessaire, j’ai réalisé m’être littéralement faite manipuler, j’ai donc décidé de lui faire part de mon ressenti et que m’a-t-il dit ?
D’abord il a fait mine de NE PAS VOIR DE QUOI JE VOULAIS PARLER (typique) puis le pompon : « Tu m’avais pourtant dit que tu avais apprécié ».
Faux ! Je n’ai pas du tout aimé. Les pervers narcissiques n’assument jamais et essaieront toujours de retourner la situation, ils sont très doués dans ce domaine alors ne vous laissez pas faire !
Surtout ne doutez pas de vous, si vous pensez être dans ce genre de situation, FUYEZ et DENONCEZ.
Car ils recommenceront avec d’autres.
5) Cela m’est presque arrivé à moi aussi.
« M », 33 ans: Moi ça a failli m’arriver sur un petit yacht à voile. Nous étions trois à board, j’étais la seule femme.
J’ai juste eu la présence d’esprit de m’enfermer à double tours dans la cabine des clients (qui étaient partis la veille) car l’un des deux gars (le skipper) était beaucoup trop entreprenant (alors qu’il était arrivé à bord le matin même pour le convoyage). Eméché, il a passé la nuit à frapper aux portes, je n’ai pas pu dormir.
Je devais aller avec eux aux Fidji, puis Nouvelle-Zélande, Asie et Europe (le rêve pour moi à l’époque), mais j’ai tout annulé suit à cet épisode.
J’ai pris l’avion pour Papeete le lendemain et je n’ai plus jamais fait de charter depuis (2011).
Et je dois avouer que les annonces qui passent ici, seules celles postées par des propriétaires/skipper en couple ou avec une majorité de femmes à bord, m’intéressent.
Avant de dire que c’est rare ou que ça n’existe pas ici, ouvrez bien grand vos yeux et vos oreilles, regardez autour de vous, discutez un peu avec les autres, souvent les silences sont porteurs de messages…
D’autres finissent en hurlements assourdissants.
6) Sidérée de découvrir l’ampleur du phénomène des agressions et du harcèlement sexuels dans le monde de la co-navigation
(Contexte : L’autre équipier a 24 ans. Le capitaine (X), anglais résident en France, 62 ans.)
« L », 28 ans: J’ai pris contact avec X suite à son annonce publiée sur le site de bourse aux équipiers où il faisait part de sa recherche d’un équipage pour convoyer un Catamaran de France vers la Belgique.
Nous échangeons quelques messages puis procédons à un appel téléphonique avant d’acter de notre souhait respectif de co-naviguer ensemble. Mon souci principal de mon côté est de vérifier que d’autres équipiers seront présents, pour assurer ma sécurité en tant que jeune femme voyageant seule. Il me confirme qu’un autre équipier (un jeune français comme moi) embarquera en même temps : me voilà rassurée. J’ai par ailleurs un bon feeling avec le capitaine.
Nous convenons de nous retrouver sur le bateau le mardi suivant en début d’après-midi, pour un départ le mercredi.
Je suis très enthousiaste à l’idée de cette expérience.
Le jour J, la rencontre se passe bien. Le capitaine a l’air détente et l’autre équipier très sympa.
Le capitaine nous indique que nos voisins du bateau d’à côté, qu’il a rencontré un peu plus tôt, vont venir prendre l’apéro. Il nous précise que nous sommes libres de boire de l’alcool tant que l’on est à quai. Une bonne soirée en prévision !
Très vite, je remarque que notre capitaine enchaine les verres de vin à un rythme soutenu. Sa bouteille de rosé est vite finie, il entame le cubi. Il est rapidement éméché. Il parle et rigole fort, monopolise la discussion, se lance dans de grands monologues sur le soin qu’il porte à la sécurité de ses équipiers (discours qui jure un peu avec son taux d’alcoolémie au moment m).
A mesure que la soirée avance, il se montre également très entreprenant avec l’autre capitaine (femme). Il s’en rapproche vite physiquement. Il lui attrape le visage et l’embrasse de façon prononcée sur la joue à de multiples reprises. Alors qu’elle s’apprête à s’assoir, il lui glisse une fessée. Il passe ses mains dans son dos.
De son côté, elle ne lui fait pas d’avance, mais ne repousse aucune des siennes. Elle est à priori ok avec ce qu’il se passe. Tant mieux.
L’ambiance qui règne alors sur le bateau m’est tout de même inconfortable. Mon capitaine y a installé une ambiance grivoise qui me met mal à l’aise. Nous, équipiers des 2 bateaux, sommes par ailleurs embarrassés par le rapprochement physique explicite qui a lieu sous nos yeux. Enfin, le jeu auquel j’assiste m’informe du fait que son état marital (il nous avait indiqué être marié) ne l’empêche pas de chercher le rapprochement avec d’autres femmes. J’en prends bonne note.
Le lendemain, nous larguons les amarres, direction Les Sables d’Olonne. Notre capitaine a décuvé. Il retrouve son attitude normale, dans l’ensemble agréable. Je retrouve mon enthousiasme.
En fin d’après-midi, dès qu’amarrés au port des Sables d’Olonne et que l’intendance gérée, notre capitaine ressort son cubi.
Rapidement, son attitude change à nouveau. Il s’échauffe à présent à l’évocation de certains sujets, comme lorsque j’évoque le fait que mon père me questionne sur la non mise à jour de notre localisation GPS (normalement consultable en temps réel via un système fourni par l’entreprise du capitaine) depuis 11h du matin. J’ai alors droit à un couplet de 20 minutes sur le fait qu’il n’a aucun compte à rendre à nos parents, et qu’il ne souhaite pas qu’ils s’immiscent dans notre vie à bord. Je suis interpellée par cette soudaine et disproportionnée véhémence.
A mesure que l’apéro avance, les propos et plaisanteries grivoises sont de retour. Il tient de plus en plus de propos à caractère sexuel.
Il nous raconte par exemple que sa femme ne veut plus avoir de relations sexuelles avec lui. Qu’il a une maitresse aux Sables d’Olonne, et qu’elle n’arrête pas de lui envoyer des messages pour qu’ils se voient, car elle veut être « fucked tonight ». Il rigole en nous racontant cela, faisant fi de notre gêne à peine dissimulée.
Il revient également sur son rapprochement de la veille avec la capitaine. Il tient à nous faire part de son analyse : selon lui, compte tenu de son attitude, cette femme a « soif de sexe ». Il nous le répètera plusieurs fois dans la soirée.
Ses propos me mettent de plus en plus mal à l’aise. Je lui fais savoir, à plusieurs reprises.
Cela le met en colère. Il m’indique qu’il a déjà eu des ennuis avec d’autres jeunes femmes (tiens donc), et qu’il faut qu’il lève tout doute sur des problèmes que je pourrais lui créer.
Il souhaite mettre au clair le fait qu’il n’existe aucune « sexual tension » entre nous. Il a 2 arguments principaux : si ses propos me mettent mal à l’aise, c’est que je n’ai pas d’humour. Par ailleurs, j’ai l’âge de ses filles, ce qui rend bien évident le fait qu’il n’ait aucune pensée sexuelle à mon encontre.
Ses justifications ne me rassurent aucunement. Et ce monologue, qui durera bien 20 minutes, et à l’occasion duquel l’expression « sexual tension » sera employé toutes les 3 phrases environ, par un inconnu de l’âge de mon père, ne fait qu’augmenter mon angoisse.
Pendant cette soirée, il commence également à m’imposer un certain rapprochement physique. Lorsque nous sommes debout, et qu’il me parle, il se tient beaucoup plus proche de moi qu’en temps normal. Lorsque hilare à la formulation de ses blagues grivoises, il pose sa main sur mes épaules. Lorsqu’il souhaite passer derrière moi, il n’hésite pas à poser ses mains sur mes hanches comme pour me décaler. A un moment donné de la soirée où passe une chanson qu’il aime particulièrement, il prend ma main, et m’entraine dans une danse forcée.
Alors qu’il nous évoque à nouveau sa vie sexuelle, c’est mon co-équipier qui cette fois lui demande d’arrêter. A son tour de se trouver dénigré : il se fait de son côté traiter de « pussy ».
L’ambiance est plus que pesante. L’attitude de notre capitaine est de plus en plus hostile et intimidante. Mon co-équipier et moi déployons une énergie considérable pour prendre sur nous et éviter que la situation ne dégénère.
Je suis dans un tel état de nervosité, que j’ai du mal à présent à le regarder, de peur de laisser transparaitre mes pensées et de provoquer sa colère. J’ai le nez dans mon assiette. Il s’en rend compte et exige avec agressivité que je le regarde dans les yeux. Je me retrouve forcée, pour le reste de la soirée, à plonger mon regard dans le sien, sous peine sinon d’être violement reprise à l’ordre.
Je dois le regarder dans les yeux, y compris lorsqu’il souhaite revenir une xième fois sur le malentendu qu’il pourrait y avoir quant à une potentielle « tension sexuelle » entre nous. Il m’indique que compte tenu des problèmes qu’il a eu par le passé, il me fera signer un document dans lequel je m’engage à ne pas engager de poursuites envers lui.
Sur les coups de 21h, nous prétextons une grosse fatigue liée à notre première journée de navigation, pour exprimer le souhait d’aller nous coucher. Contre toute attente, il ne nous retient pas. Nous disparaissons chacun dans nos cabines respectives.
5 minutes plus tard, il nous prévient, d’une voix enjouée et amusée, que sa maitresse va passer le chercher.
Il descend dans notre coque et s’approche de ma cabine : il me propose de me laisser sa bouillote, comme j’ai eu froid la nuit passée. Je le remercie, et lui souhaite une bonne soirée.
Malheureusement, il ne remonte pas. Mais s’approche et s’arrête dans l’encadrement de ma cabine. Il lance une conversation
légère, qui jure avec ses emportements de la soirée. Avec sa stature imposante, les mains posées sur le haut de la porte, je n’aperçois plus le couloir. Ni la cabine de mon co-équipier, qui fait face à la mienne. J’ai le cœur qui bat fort. Je me sens oppressée. J’ai peur.
Après 5 minutes de ce qu’il a sans doute vécu, aveuglé par l’alcool, comme un gai bavardage, il se décide à remonter.
Je croise le regard de mon co-équipier de l’autre côté du couloir. Je fonds en larme. En silence surtout, pour ne pas être entendue du capitaine.
Une fois le capitaine parti, j’annonce à mon co-équipier que je souhaite partir. Tout autant dégouté par le déroulé de la soirée, il m’indique qu’il part avec moi.
Le premier train au départ des Sables d’Olonne est à 5h45. Le capitaine doit rentrer au petit matin. Nos cabines ferment à clé. On décide donc de rester sur le bateau, mais mettre un réveil à 4h30 pour se diriger vers la gare.
Notre capitaine rentre finalement à minuit. Je vous passe les détails, mais je vous laisse imaginer la nuit quasi blanche, puis l’évasion du bateau à 4h30, la peur au ventre à l’idée de réveiller le capitaine.
Cela fait 5 jours que je suis rentrée de cette expérience.
Un policier avec lequel j’ai échangé depuis m’a confirmé que ces faits « sont constitutifs de harcèlement et d’agression sexuelle ». Que ces faits « sont punissables » et que je suis « légitime à déposer plainte ».
Je suis toujours pour partie sidérée.
Sidérée par le comportement de ce capitaine, et le fait qu’il semble sincèrement ne pas comprendre en quoi ses propos et son attitude sont anormales et graves.
Sidérée par le fait qu’il puisse continuer à embarquer de jeunes femmes à bord, alors que ses agissements ont semble-t-il déjà été signalés.
Sidérée enfin de découvrir l’ampleur du phénomène dans le monde de la co-navigation, et le peu de moyens de lutte et de prévention mis en place par les sites de mise en relation jusqu’à aujourd’hui pour y faire face.
Au vu de mon expérience, je conseillerais aux jeunes femmes de :
**-Ne pas embarquer seules avec un capitaine**
**-Quelle que soit la configuration de l’équipage (mon expérience montre que les capitaines peuvent sévir même en présence de tiers), chercher à avoir des avis/retours d’anciennes équipières sur le capitaine avec lequel vous prévoyez d’embarquer**
**-Demander à prévoir quelques jours à quai ou quelques escales avant de partir en pleine mer**
**-Ne pas hésiter à débarquer du navire dès les premiers signes de malaise**
7) Les risques associés au fait d’être équipière et les abus potentiels sont bien plus effrayants que les risques liés à la navigation
« R », 52 ans: Je trouve les risques associés au fait d’être équipière et les abus potentiels bien plus effrayants que les risques liés à la navigation sur l’océan ! (…) Pour être honnête, tellement d’hommes/capitaines dans la communauté de la voile sont si sexuellement abusifs… Je ne pense pas qu’on m’ait jamais proposé autant de sexe… Un capitaine m’a même dit que si je ne couchais pas avec lui pendant tant de semaines à bord, je devrais descendre du bateau…
8) Traumatisée par le nombre d’hommes qui vont tout faire pour te faire monter sur leur voilier pour des raisons autres que la voile
« C », 21 ans: L’été dernier en cherchant des opportunités de voile sur un groupe facebook qui s’appelle “Voileux du Québec”, j’ai été un peu traumatisée par le nombre d’hommes qui vont tout faire pour te faire monter sur leur voilier pour des raisons autres que la voile, donc je suis vraiment heureuse que cette équipe féminine soutenant le groupe facebook existe pour nous aider à prendre soin les unes des autres.
9) Sa seule idée en tête était de me convaincre de coucher avec lui
« V », 45 ans: Trouvé sur le site workaway, ce capitaine est venu me chercher à l’aéroport en Polynésie Française, et nous sommes ensuite allés sur son trimaran, un très joli gros bateau jaune. Le bateau était amarré loin de la jetée et de la marina, et la seule façon d’y accéder, était d’utiliser un canoë qui se trouve sur le bateau, pour être plus précise, dans un filet, bien au-dessus de l’eau. Donc, afin de le mettre à l’eau, il faut être bien musclé-e!
La première chose qu’il m’a dite en arrivant sur le catamaran, c’est qu’il se balade habituellement nu à bord; mais parce que j’étais là, il a quand même mis un mini-pagne « paréo » avec beaucoup de trous: je pouvais pratiquement tout voir à travers !! Pas exactement ce que je voulais voir de mon hôte de 65 ans!!!
Donc, dès le 1er jour, me retrouver seule sur le bateau avec lui, loin du rivage, était déjà désagréable pour moi, pas ce que j’espérais, et j’ai vite eu le sentiment d’être piégée sur un bateau avec quelqu’un de potentiellement « dangereux », qui attendait ou désirait quelque chose de moi! J’ai donc tout-de-suite commencé à penser à un moyen de me sortir de là! Nous sommes allés nous baigner, et il m’a demandé si je voulais y aller nue, évidemment j’ai dit non, mais j’avais l’impression qu’il me regardait intensément, analysait ma silhouette et jugeait mentalement mon apparence physique! De fait, ce jour-là, au cours d’une conversation, il m’a dit que mes seins étaient petits et qu’il ne m’aimait pas avec mes cheveux attachés en queue de cheval!
Il m’a beaucoup parlé de toutes les différentes femmes qu’il avait eues dans sa vie, parfois même avec des détails sexuels personnels: ses diverses relations avec des femmes du monde entier, toutes plus jeunes que lui, certaines d’entre elles auraient même pu être ses filles! Il m’a dit qu’il aimait danser sur de la musique latino-américaine, et qu’il rencontrait souvent des femmes dans des clubs de danse, plus jeunes que lui, il me montrait des photos de ses copines, et me racontait comment il les abordait.
De temps en temps, il s’approchait de moi et me donnait un baiser sur la joue, ou me faisait un câlin. Un jour, on a dansé sur le pont sur de la musique latino-américaine, ce qui était en soit sympa, sauf qu’il ne portait toujours presque rien, ce qui était désagréable pour moi!
Il m’a serrée dans ses bras une fois, alors que nous regardions quelque chose sur son téléphone, dans sa cabine, mais rien de plus ne s’est passé, sûrement parce que je ne lui ai montré aucun signe d’intérêt. Je raconte tout ça parce que j’avais l’impression, dès mon arrivée, qu’il essayait de me montrer à quel point il était charmant avec les femmes, à quel point il était compétent en parlant de différents sujets, en essayant de montrer qu’il était un homme intéressant, avec pour but que je l’apprécie plus et que je devienne plus proche de lui. Un soir, il a fait des cocktails avec du rhum, peut-être avec l’idée de me saouler, mais ça n’a pas marché.
Il n’y avait pas de wifi sur son bateau, donc il n’y avait aucun moyen pour moi de contacter quelqu’un, ou de vérifier des choses en ligne. Quand je lui ai demandé d’y accéder, il m’a donné le mot de passe, mais pas pendant longtemps, parce qu’il disait que ça coutait cher!
Après 3 jours, quand il s’est rendu compte que je n’allais pas céder, que j’étais mentalement forte, pas facile à convaincre, et qu’il était impossible de m’impressionner – il ne m’aimait probablement pas beaucoup de toute façon puisque je ne suis pas jeune et jolie comme les autres -, il a arrêté de me parler, d’être gentil ou souriant, et au lieu de ça, il me disait juste ce que je devais faire sur le bateau: nettoyage etc…
J’avais hâte de quitter son bateau, je ne me sentais pas à l’aise avec lui depuis mon arrivée, et quand je lui ai dit que je voulais partir et aller sur une autre île, au bout de seulement 3 jours, il n’était pas content mais il a dit ok, et qu’il m’emmènerait à terre.
Une fois arrivée à terre, avec le canoë, il m’a dit au revoir et m’a laissé là, à 4 km du port le plus proche, avec mon sac à dos sous un soleil de plomb, en me disant de marcher ou de faire du stop! La vérité c’est que je me suis sentie piégée sur son bateau. Comme je l’ai dit, ce n’était pas du tout facile de retourner sur terre seule, alors à la fin je me suis retrouvée confinée dans un petit espace, avec un homme presque nu, que je n’aimais pas du tout, de 65 ans, et dont la seule idée en tête était de me convaincre de coucher avec lui. Peut-être que j’ai aussi eu de la « chance », d’une certaine façon, parce que je n’étais pas son genre ou pas assez jeune pour lui.
10) Après une très mauvaise expérience, je voulais dénoncer le capitaine au site, mais, voyant leur politique en la matière, je me suis rendue compte que ce serait en vain
« V », 35 ans: En octobre 2019, je me trouve sur une petite île et je suis à la recherche d’une nouvelle embarcation pour la suite de mes aventures.
Je me connecte à “findacrew.net” et tombe sur une annonce intéressante. Le capitaine et sa compagne sont sur l’île, après quelques messages échangés nous convenons d’une rencontre. Je rencontre donc un couple, Tania* et Gary*. Iels sont enthousiastes et agréables. Leur bateau est enfin prêt après des mois de chantier naval. Je rencontre aussi leur équipier qui vient d’arriver. Le courant passe, j’embarque donc pour une petite traversée de 3-4 jours pour les îles suivantes.
La traversée se passe plutôt bien (malgré le terrible mal de mer qui terrasse Tania et notre coéquipier). Une fois arrivé·e·s, je passe quelques jours à bord, puis quitte le bateau. Gary et Tania ont déjà un équipage complet pour la suite de leurs aventures. Je continue la mienne de mon côté. Quelque temps plus tard, Gary m’appelle. Il m’annonce que l’entente s’est mal passée avec leur nouvelle équipière et me propose de les joindre pour la suite du périple. Il y aura deux équipiers jusqu’au prochain archipel, puis l’un des deux rentrera. Nous serons 4 pour “la grande traversée”, j’ai une cabine seule pour tout le périple. Je prends un temps de réflexion. Je me suis très bien entendue avec Tania, c’est une bonne compagne de voyage avec qui j’aime beaucoup “papoter”, rigoler, échanger (lorsqu’elle ne souffre pas du mal de mer) Gary est parfois rigide style “contrôle freak”, mais la plupart des capitaines le sont (me semble-t-il à l’époque).
J’accepte et m’embarque sur cette prochaine étape qui se passe globalement bien. Tania n’est pas en grande forme, à nouveau elle souffre du mal de mer durant les presque 5 jours de navigation. Elle est également triste car elle a quitté l’île dont elle est originaire et sa famille pour une aventure flottante. Elle me confesse qu’elle n’aime pas le bateau. Mais elle aime Gary et elle a décidé de le suivre dans son rêve (commençant à comprendre l’homme, elle n’avait pas franchement le choix).
Noël passe, nous avons finalement un changement d’équipier de dernière minute (qui s’avère être une chance car nous nous entendons très vite à merveille). Après un “accrochage” avec le capitaine (car je refuse qu’il dicte ma vie lorsque nous sommes à quai, “control freak” j’vous l’avais dit!) nous sommes prêt·e·s pour le grand départ! Les premiers jours se passent plutôt bien. Tania n’est pas “trop” malade, un vent régulier souffle dans nos voiles, et après quelques jours nous avons pris le rythme des longues navigations. Gary se “détend”, commence à faire confiance à Pascal* le nouveau coéquipier.
Puis nous affrontons quelques jours de gros temps. Tania est à nouveau terrassée. Elle ne se lève plus, s’alimente difficilement et nous devons insister pour qu’elle s’hydrate suffisamment. Nous sommes tous les 3 en soucis pour elle. Les quarts de nuit sont modifiés. Je suis désormais remplacée par Gary en milieu de nuit. Une nuit, Gary arrive sur le pont en se plaignant d’un torticolis. Je l’informe que j’ai des huiles qui pourraient le soulager. Il me remplace à la barre et je vais les chercher. Je lui propose de reprendre la barre, le temps qu’il soigne sa nuque. Nous n’avons pas de pilote automatique. Il me demande si je serai d’accord de lui appliquer le mélange, ça sera plus rapide. Pas de soucis, ni d’ambiguïtés de ma part, je m’exécute sans arrière-pensée. Il me remercie et je vais me coucher.
Quelques jours plus tard, Tania va un peu mieux. Elle reprend son quart de nuit. Elle remplace Gary. Je suis dans un sommeil profond lorsque je suis réveillée par une main qui me caresse l’avant bras, la tête, la nuque. J’ouvre rapidement les yeux et dégage cette inconnu. Gary est assis sur le bord de ma bannette. Je ne comprends pas. Je lui demande s’il y a un changement de vent, s’il a besoin de nous pour une manœuvre. Il me répond par la négative. Il prétexte avoir encore mal à la nuque, voudrait que je le masse. Je lui réponds de prendre le flacon dans ma trousse de toilette, et de se débrouiller. Je ne comprends pas sa requête, je suis encore dans les limbes du sommeil. Il me caresse le visage et me glisse à l’oreille qu’il aimerait un massage sans huile, pour que Tania ne le sente pas. Je comprends. Je le repousse physiquement et lui répond qu’il en est hors de question. Je lui demande fermement de quitter ma cabine. Il s’exécute. Quelque temps plus tard, le revoilà. Je m’assieds et lui demande ce qu’il fait encore là. Il me dit qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il me dit que je lui plais. Qu’il a envie de moi. Que je lui rappelle son ex. Qu’il est en manque de sexe car Tania est tellement malade. Qu’il ressent une énergie sexuelle qui émane de moi. Et plonge sa tête dans mon cou, s’agrippe à moi, essaye de m’embrasser. Je le repousse à nouveau et essaie de le raisonner. Il se trompe. Il aime Tania et ne devrait pas projeter ses désirs et ses frustrations sur moi. Je lui demande fermement de quitter ma cabine et de ne plus y revenir. Il s’excuse et sort. Je suis dégoûtée, interpellée! Je ne m’attendais pas à ce genre de comportement de sa part. Je suis en colère. Comment ose-t-il mettre en péril cet équilibre que nous avons acquis? Pourquoi brise-t-il le lien de confiance au milieu de l’océan? Je me sens prise au piège. J’ai envie de lui hurler dessus mais je n’ose pas. J’ai peur de la réaction de Tania si elle l’apprenait. Elle est déjà tellement en souffrance que je n’ose pas imaginer sa réaction si elle avait connaissance de ses agissements. Je ne veux pas non plus que Pascal soit au courant. J’ai peur d’engendrer une crise qui pourrait nous mettre tous les quatre en danger. Je m’endors seulement au prochain changement de quart. Pascal est réveillé, à la barre, Tania rejoint Gary, il ne peut plus rien tenter.
La nuit suivante, lorsqu’il vient me remplacer, je suis très froide à son égard. Il souhaite discuter. Je lui dit que je n’en ai pas envie. Il s’excuse pour ses agissements et me remercie pour mes “sages paroles”. Je vais me coucher. J’imagine que l’histoire est derrière nous. J’évite Gary tant que possible sans que cela ne soit trop visible. J’aimerais que rien ne transparaisse avant que nous ayons rejoint la terre. Tania essuie à nouveau une période de mal de mer intense. Elle est allongée jour et nuit. Nos quarts se rallongent. J’ai repris un peu confiance. Gary tente de passer plus de temps avec moi. Il me rejoint peu avant son quart, s’assied à mes côtés et se confie à moi. Je garde un ton très neutre et essaye de lui faire prendre conscience de “sa bêtise”.
Il prolonge ma présence à la barre, prétextant ses “tâches” de capitaine. Il revient, me demande si je suis encore assez en forme pour rester à la barre, le temps qu’il se restaure un peu avant de me remplacer. J’accepte. Je fais ma part pour que le tournus à 3 ne soit pas trop lourd pour Gary ou Pascal. Il s’installe à mes côtés, nous échangeons quelques mots sur les conditions de mer et le vent. Et comme de rien, il passe sa main dans mon dos, se faufile sous mes vêtements. Je lui demande de retirer sa main. Il s’exécute.Il s’excuse. Je suis hors de moi! Je lui demande s’il plaisante, je pensais qu’il avait compris que ses agissements étaient déplacés. Il se donne des excuses. Rejette la responsabilité sur moi. Je suis trop “sexy” dans certaines situations. Il cite un tas d’occasions banales, durant lesquelles je me sentais en sécurité d’agir sans avoir l’impression que mon corps était épié, sexualisé. Je suis dégoûtée. Je lui laisse la barre et vais me coucher.
Le reste de la traversée se passe sans encombre. L’euphorie de l’arrivée est gâchée par une violente dispute de couple. Gary a été ignoble avec Tania, nous refaisons le mouillage à 4 reprises car il est insatisfait (ancre mouillée trop vite, pas assez, pas assez rapidement…).
Dans les jours suivants, je quitte l’embarcation. J’ai hâte de découvrir cette île magnifique et je suis soulagée d’être loin de Gary. Je souhaitais dénoncer son cas à “findacrew.net”, mais lorsque j’ai découvert la politique de signalement de mauvaises expériences, j’ai abandonné l’idée. En effet, le site annonce ne pas vouloir prendre parti dans des conflits entre utilisateur·ices et qu’iels ne jugeront pas les agissements problématique sur la base d’un témoignage d’une seule personne. “A quoi bon si ma parole est mise en doute? ” me dis-je. J’abandonne l’idée et apprends à vivre avec ce qui s’est passé.
11) En l’état, ces sites mettent les filles et femmes en danger, des enquêtes de la part des autorités des pays qui les hébergent devraient être diligentées
« C », 38 ans : J’ai été agressée par un capitaine, et, après l’avoir signalé à crewbay.com où il m’avait trouvée (Crewbay.com a eu une réaction très problématique, refusant de faire toute prévention pour freiner ces agressions malgré que moi et d’autres victimes le leur ait demandé à plusieurs reprises pendant un an, permettant ainsi à ces crimes de continuer en toute impunité), j’ai été informée quelques mois après par une amie équipière qu’il recrutait sur Findacrew.net.
J’ai essayé de les alerter, mais ils ont été très offensants envers moi, me forçant sans aucune empathie à divulguer des détails intimes de mon calvaire, tout en étant obsédés par Crewbay.com, bizarrement.
J’ai parlé à une femme qui était très mal formée sur la façon de gérer les victimes traumatisées, insistant constamment sur la nécessité de se méfier de tout signalement, en raison des droits des capitaines. Au final, ça a été une expérience tellement horrible pour moi que j’ai décidé d’abandonner, et j’ai mis fin à l’échange.
Je sais que le collectif de victimes a également essayé de les contacter pour savoir quelle était leur politique de prévention des agressions sexuelles/harcèlement sexuel (SASH en anglais). Elles ont envoyé, je crois, 4 e-mails au total. findacrew.net n’a jamais daigné répondre. Alors le collectif a tenté de joindre leur PDG, Raffael Gretener, sur Facebook, car elles font beaucoup de plaidoyer sur les réseaux sociaux, et quelle a été sa réaction ? Il les a bloquées sans même un mot.
Apprendre cette réaction de la part de ce site où tant de jeunes femmes sont inscrites a été très traumatisant pour moi, car elles sont mises en danger. De même, je ne comprends pas comment quelqu’un peut réagir d’une manière aussi méchante et sadique face à un collectif de victimes. Des femmes et des filles dont les rêves de voile ont été brisés, les corps ont été violés et qui vivent avec de terribles PTSD, pour certaines. C’est horrible. Et crewbay.com ne fait pas mieux, ne faisant aucune prévention non plus, disant que c’est trop cher, alors qu’il serait si facile d’éviter plus de victimes.
D’ailleurs, pour mieux comprendre la dangerosité de Crewbay.com, comme nous l’a dit le collectif, ils ont hébergé le profil d’un violeur suisse condamné qui a agressé 3 jeunes femmes qu’il a recrutées via Crewbay rien qu’en 2021. Honte à eux. Les autorités devraient examiner de près ces plateformes et les forcer à cesser de mettre en danger et de traumatiser les femmes et les filles. Ou les fermer tout simplement, jusqu’à ce qu’ils apprennent que la sécurité des équipières en matière d’agressions et de harcèlement sexuel est une priorité.
12) Je me suis “laissée violer” de peur que ce skipper que j’avais clairement repoussé ne devienne violent.
« F », 27 ans : Pendant mon tout premier charter avec une compagnie de charter en juillet 2021, je me suis retrouvée avec un skipper directement, sans avoir rencontré les personnes du bureau pour m’expliquer en détails les missions que je devais réaliser.
J’ai donc rencontré C., skipper français de 48 ans il me semble, qui m’a expliqué et s’est proposé de me « former ». Je ne connaissais rien du tout au milieu, et je n’avais aucun contact de confiance ou autre. J’ai tout de suite senti un côté caractériel voire autoritaire, mais sans y prêter plus attention.
Les premiers jours de charter il a commencé à me faire des avances auxquelles je ne répondais pas. Un soir, les clients partant au restaurant, je suis allée manger avec lui dehors, et en rentrant au bateau vide il a commencé à essayer de se rapprocher de moi en insistant, malgré le fait que je l’ai repoussé en disant que je n’étais pas intéressée. J’ai fini par partir du bateau pour prendre l’air et de peur qu’il ne revienne.
Après une altercation avec lui, les clients du charter ont débarqué au bout de 3 jours. Nous nous retrouvons donc seuls à ramener le bateau à son port. Une fois les clients partis, il se met direct nu en me disant que si ça me dérange je n’ai qu’a pas regarder. Il continue à me faire des avances en me disant par exemple « je t’apprendrai si tu es plus gentille » entre autres. Je lui explique que je suis très mal à l’aise face à ça et il se met en colère en me criant dessus et retournant la faute contre moi et m’expliquant qu’il est vexé par mes propos.
Je précise que ce type de personnalité est très manipulatrice. Il retournait constamment ce que j’avais pu lui dire contre moi, pour venir taper dans des points sensibles. Le soir même, il fait venir des amis (une famille très gentille) à lui sur le bateau, comme les clients étaient partis. Nous buvons de l’alcool, car je me sentais plus en confiance avec eux. Donc je me laisse aller et je bois aussi.
A mon tort, je me retrouve très alcoolisée quand ses amis s’en vont. Je ne sais plus exactement comment mais je me retrouve avec lui à fumer une cigarette sur le toit du bateau, je m’assois à côté de lui et il m’attire contre lui, allongé sur le toit.
J’ai commencé à paniquer dans ma tête en comprenant très bien ce qu’il allait faire mais je suis restée tétanisée à me demander quoi faire : si je m’énervais, s’il n’allait pas s’énerver encore plus comme plus tôt dans l’après midi et/ou être violent, si je criais pour alerter les bateaux voisins mais n’étant pas sûre de leur confiance non plus, s’il n’allait pas raconter des choses mauvaises à mon sujet au bureau, si je n’allais pas dans son sens, je craignais pour mon poste, (comme il m’avait expliqué plusieurs fois que c’était le « chef à bord, c’était lui qui commandait »).
Bref, je suis restée totalement bloquée en plus d’être saoule avec des souvenirs flous et je n’ai rien fait je l’ai juste laissé faire en essayant de me persuader que, peut être tout compte fait, j’étais d’accord, alors que je lui avais explicitement dit plus tôt que j’étais presque dégoûtée par le fait qu’un homme de 20 ans mon aîné me fasse des avances.
Je l’ai donc laissé faire quand il a commencé à passer sa main sous mes vêtements, me les enlever, me toucher, les souvenirs sont flous, mais pour arriver jusqu’à un rapport sexuel, où j’ai passé tout le long à essayer de me convaincre que j’étais d’accord. C’est assez bizarre à expliquer. Je me sentais comme gazée complet après ça, et je suis en quelque sorte rentrée dans son jeu pour la fin du charter.
Ensuite il s’est débrouillé pour faire un autre charter de 14 jours avec moi, s’imaginant une romance, me promettant monts et merveilles, me parlant d’un boulot de rêve où il voulait m’emmener pour se faire beaucoup d’argent.
J’essayais de mettre des stops mais j’avais compris que, comment dire, sa vision de la réalité n’était pas très claire. Pendant ce deuxième charter, je ne sais même pas pourquoi, je suis rentrée dans son jeu, j’avais sûrement senti la manipulation et je le craignais de peur qu’il ne me descende auprès de l’agence.
Les deux semaines ont été un enfer, comme il venait vers moi, je l’ai laissé faire au début, toujours ne comprenant pas trop ce qu’il se passait, et comment j’avais réussi à me convaincre que c’était une bonne idée. Au fur et à mesure de comprendre son comportement, où il me donnait des directives contradictoires par apport à la cuisine, contrôlait absolument tout ce que je faisais, critiquant tout, m’interdisait de faire des siestes, de me déplacer la nuit dans le bateau, s’énervant dès que je faisais une remarque, ou alors ne me répondant plus quand je lui tenais tête.
J’ai réussi à mettre des stops et à le repousser au bout de quelques jours, et à partir de là il a été encore plus odieux et me parlant constamment comme à un chien entre autres. Quelques exemples : Je dormais dans le pic avant connecté à la cabine où il dormait, pendant que je dormais vers 2/3h du matin, il rentre dans le pic pour attraper son sac brutalement et refermer la porte en la claquant.
Une fois, j’étais partie dormir sur le toit pour être tranquille, il est venu me réveiller pour me dire « tu as intérêt à être en forme demain ». Il m’a ordonné de faire attention à ce que je disais, en me disant que « lui aussi avait des choses à dire », me disant « écrase-toi maintenant ». Pendant que j’étais dans le salon le soir à faire des menus, il passe et éteint la lumière sans rien me dire, en lui demandant, il me dit: « c’est moi le capitaine, si t’es pas contente c’est pareil ».
Une fois, à me crier dessus pendant que je faisais un dessert: « apprend à faire des choses simples d’abord au lieu d’essayer de faire des choses compliquées », où j’ai craqué j’étais en pleurs, c’est la cliente qui est venue me réconforter. Bref, la liste d’anecdotes sur le type est longue.
Suite à ça, car j’avais contacté des amis techniciens rencontrés entre temps pour leur demander conseil, cela a du s’ébruiter. Les clients je crois en ont touché un mot au bureau, mais impossible d’avoir une version limpide de quelqu’un. Il s’est fait blacklister par la compagnie de charter, notamment pour un accident mal géré (safran cassé pour avoir tapé des roches).
Il recrutait un équipage sur plusieurs groupes Facebook ces dernières semaines.